Avant la colonisation française, Beni Saf n’existait pratiquement
pas; En effet il n’y avait ni surface plane, ni plateau accueillant pour
des constructions, ni aucune voie naturelle vers l’intérieur du pays. Ce
n’était que des collines enchevêtrées de 90 à 150 m d’altitude tombant en
ravins profonds aux pentes très raides. Sur la mer, pas de baie favorable
à l’établissement d’un comptoir ou d’un port; De hautes falaises de sable
dur et de grés tombant à pic n’étaient coupées que par deux ou trois
petites criques.
Même les romains, devant l’inhospitalité du site, n’ont pas essayé
de s’implanter dans la région beni-safienne ; Ils lui ont préféré
Siga (à l’embouchure du fleuve de la Tafna) et Camerata (actuellement Sidi
Djelloul) qui disposaient d’une nature bien plus accueillante que les
abruptes falaises de Beni Saf.
C’était donc un endroit désert, rempli de broussailles et hanté par
les hyènes et les panthères (on tua la dernière de celles–ci en 1880). Une
population très clairsemée vivait sous la tente . D’après les témoignages
de soldats français au début de l’occupation française, il n'y avait en
1850 aucune habitation en dur, pas même un gourbi.
Si la ville est redevable en
quelque chose à la pêche, c'est pourtant à la mine qu'elle doit son
existence, car dans un rayon de 20 Km vont être trouvés d'excellents
filons de fer hématite (oxyde de fer hydraté à 60% environ) . Pour les
exploiter (matériaux et machines), comme pour exporter le minerai il
fallait des bateaux et donc un port, pour loger les ouvriers, des maisons.
Un centre va alors naître au prix d'énormes efforts . En ce coin
géographiquement si tourmenté , des ravins entiers furent comblés grâce
aux déchets miniers appelés " stériles": le marché en plein air, le marché
couvert et la poste reposent aujourd'hui sur des mètres et des mètres de
stériles. l'emplacement de la Daira était autrefois un grand trou ; Les
grandes artères de la ville ne furent établies qu'en creusant ou nivelant,
et, malgré leurs importants soubassement , elles serpentent en pentes
raides. Les multiples escaliers témoignent toujours des dénivellations
naturelles et pour bâtir chaque maison, il fallut ou niveler ou couper
dans les flancs des collines.
Les premiers à avoir découvert
des gisements de minerai en 1850 furent des pêcheurs européens venu
profiter des eaux poissonneuses de la région ; Ils arrachaient le
minerai au pic de la falaise, le transportaient par des ânes robustes vers
« la plage des mouches » plus à l’est, le chargeait dans des
barcasses (petits bateaux) qui allaient retrouver les voiliers
transporteurs en pleine eau.
Ils se firent des habitations en
creusant dans la falaise des cavernes, puis, lorsque le nombre d’ouvriers
augmenta, ceux ci se groupèrent à Sidi Boucif où le bas du ravin avait été
aplani, ce qui permit d’édifier de petites baraques en planches.
Vers 1855, une compagnie anglaise
s’intéressa au minerai, obtint une concession, racheta les mines déjà
existantes, établit une voie ferrée et pour l’embarquement utilisa la baie
de Camerata (Sidi Djelloul).
En 1867 une société dénommée
« soumah et tafna » , qui avait entrepris des recherches de
façon scientifique, commença
ses abattages miniers à ciel ouvert à Ghar El Baroud et à Dar Er
Riah, installant ses bureaux et attirant des ouvriers sur le terrain qui
allait devenir Beni Saf, si bien qu'en 1874 le général chanzy, alors
gouverneur de l'Algérie, vint sur place poser la première pierre du
village dès lors officiellement reconnu .
Mais la société qui avait
pourtant obtenu concession pour créer un port , recula devant l'entreprise
et céda ses droits à la compagnie de mokta el hadid , une grosse
entreprise minière, bancaire et même maritime .
A partir de ce 1er
janvier 1879, Beni Saf allait prendre son essor.
Deux rues, Emir Khaled et Sidi
Yekhlef Ahmed (alors Pelissier et Chanzy), simples trouées parallèles
débroussaillées sur l'escarpement de la rive gauche de l'oued hamed, se
bordèrent peu à peu de maisons basses. D’autres rues naissent au fur et à
mesure de l’intensification de l’activité minière.
En 1881, l'église et le port sont
terminés, et la compagnie minière emploie 1050 ouvriers dont un certain
nombre de marocains. En 1882, la mine expédie 369.804 tonnes de minerai
sur 205 vapeurs et 210 voiliers et dispose de deux voies ferrées de 3 km,
l'une de Ghar El Baroud, l'autre de Dar Er Riah. Cette voie ferrée
deviendra plus tard la rue Emir AEK ; le long escalier qui la termine
aujourd'hui était une descenderie, qui vers les années 1890, retenait par
câbles les wagons pleins et remontait les vides.
Le 20 mars 1883, la localité qui
ne cesse de grandir a une population européenne de 1950 personnes; elle
est promue au rang de commune, le directeur de la mine en étant le maire
La découverte d'autres filons en
1910 donne un nouvel essor, d’autres rues se bâtissent, les constructions
continuent, en 1920, le boulevard Jean Jaurès et d'autres rues prennent
forme , les particuliers édifient des immeubles à étage et des maisons à
la plage du puits. A partir de 1945, naît le nouveau quartier de Sidi Brik
sur la falaise. En 1947 disparaît la voie ferrée qui depuis 1923 reliait
Beni Saf à la voie Oran-Oujda car le trafic par camions prend le dessus
.
La mine employait 2000 ouvriers
en 1919 , le maximum de 5000 est atteint en 1912 . En 1928, elle extrait
750.000 tonnes que viennent enlever 812 navires .
En 1938 elle a produit depuis son
origine un total de 19 970 737 tonnes et pourtant elle n'a plus en 1950
que 2500 ouvriers .
Le port n'a cessé de s'améliorer : en
1960 c'est un bassin de 20 ha avec une jetée Ouest-Nord coudée à angle
droit, de 740 m de long
disposant de hangars , d’appontements de pêcherie et d’une cale
sèche.
En 1956, 950 pêcheurs montent 42
chalutiers et 45 lamparos : ils fournissent cinq conserveries et font
vivre prés de 2000 familles (charpentiers , mécaniciens, fabriquants ou
réparateurs de filets ....) soit prés de 10.000 personnes. Désormais la
pêche est presque devenue la principale activité de la ville ; avec ses 59
000 quintaux de poissons , elle procure à toute l'Algérie le quart de ses
produits de la mer.
Dans les ressources de la
commune, l'agriculture a également une part importante. La vigne, dés
1929, recouvre 650 ha répartis en 14 propriétaires. En 1932 , 7800 ha sont
labourés par les algériens et 4544 dans les fermes européennes. Le cheptel
, à cette même date monte à 2000 moutons, 1500 chèvres, 500 bovins et 1400
porcs.
Quant à la population les 9.486
habitants de la commune en 1910 (dont 5562 algériens) deviennent 11.511 en
1921; en 1954, ce sont 21 098 habitants dont 11 591 dans le centre
proprement dit qui abrite ainsi 2.698 foyers soit 985 familles européennes
et 1768 algériens.
A l'indépendance du pays en 1962, Beni
Saf est rattachée à la Wilaya de Tlemcen.
Dans les années 70, les filons de
minerai s'épuisent et les mines sont obligées de fermer. On peut encore
voir les vestiges de l'ancienne mine sur les hauteurs de Beni Saf,
dominant la ville.
Cependant, une cimenterie est
construite dans les années 80 ; C'est l'une des plus importantes du pays,
elle est implantée à 4 km à l'est de Beni Saf, à une altitude de 185 m.
Les 02 gisements calcaire et argile sont situés au sud-est de la ville, sa
capacité de production est de 3000 tonnes par jour et elle est entièrement
automatisée. Malheureusement, cette cimenterie constitue aussi une source
de pollution majeure pour la région à cause des émanations de poussière émanant
du haut fourneau.
Le pêche
reste la principale ressource de la région. Beni Saf est devenu le premier port de pêche
d'Algérie avec une flottille de 166 embarcations; ce port, conçu initialement
pour le transport de minerais et de marchandises, a dû être reconverti en
port réservé exclusivement à la pêche et ce à cause de l'ensablement
chronique de son bassin. Les autorités locales se heurtent actuellement à
un manque de moyens pour continuer les opérations de dragage du port;
seuls 51 000 m3 ont étés réalisés depuis 1995 sur les 153 000 m3
prévus.
Enfin, la localité accueille chaque été des centaines
d'estivants venus profiter du soleil et de la mer; La plage du puits est
très fréquentée durant les mois de Juillet et d'Août et les prix demandés
pour louer un cabanon sont parfois exorbitants.
Beni
Saf à été rattachée à la Wilaya de Ain Temouchent en 1984; c'est
actuellement un chef-lieu de Daira; La ville compte plusieurs hôtels, un
hôpital, une école de pêche, un aquarium (malheureusement fermé au public)
et un musée. La ville et la région recèlent d'énormes potentialités
touristiques qui ne peuvent être exploitées actuellement faute
d'infrastructures adéquates et d'une politique adaptée.
Bibliographie
:
P.J
Letellieux
Le littoral de l'Oranie occidentale 1974
|